Sunday, October 28, 2007

Avant que la nuit ne tombe... (1)

« A force de regretter le passé, de détester le présent et de redouter le futur, nous nous sommes nous autres Français de vieille souche et d’antique tradition, nous nous sommes englués de délectation morose et inversée. Et cela nous pousse à voir dans tout ce qui paraît bon un mensonge, dans tout ce qui est mauvais la confirmation presque gratifiante de nos craintes et de nos objurgations, et finalement à détester tout ce qui fait notre quotidien. »
Serge de Beketch, cité par le père Jean Paul Argouarc’h lors de son homélie aux obsèques de l’auteur.

Une nuit tombe – mais est-ce vraiment la nuit ? Pourquoi l’amour du passé devrait-il nous faire redouter le futur ? Et détester le présent ?
Ce que j’ai détesté, pour ma part, et qui me blesse encore, ce n’est pas tant le présent que l’orientation prise par notre société à coup d’idéologies mille fois rapetassées, de nervosité fébrile, de grisaille, de laideur, de modes superficielles, d’anonymat urbain. Ce que j’ai détesté, c’est voir de ma fenêtre grenobloise un homme qu’on faisait monter dans une voiture sous la menace d’une arme, un homme qui criait au secours alors que je n’avais aucun moyen de le secourir, pas même un téléphone. Ce que j’ai détesté, c’est ce marécage des routines où se perdent les ardeurs et les idéaux, c’est d’avoir à goûter des sentiments tels que le mépris ou la colère impuissante.
D’autres que moi, sentinelles isolées aux remparts de la cité, ont pressenti la tombée de la nuit. Je songe à Louis Pauwels qui mettait en exergue la phrase du poète : « Que puis-je dire, que puis-je écrire avant que la nuit ne tombe ? » Je songe à mes amis guénoniens prophètes du Kali Yuga, à Serge de Beketch lui-même. Mais toujours leur regard la traversait et de toute leur ferveur, ils ont espéré l’aube. « Comme un veilleur attend l’aurore… »
Nous avons déjà vécu tout cela, comme le faisait remarquer Aimé Michel dans ses articles de Planète. Notre terroir a déjà vu déferler par vagues successives des peuples en migration dont les mœurs plus rudes bousculaient l’esthétisme, la science et la liberté de comportement des Romains hellénisés. L’empire d’occident s’est effondré au profit d’une poignée de royaumes régis par un droit communautaire et coutumier[1], l’école a régressé, la langue parlée s’est éparpillée en dialectes. D’Augustin d’Hippone à Boèce, on ne compte plus les cris de regrets et d’angoisses devant la fin d’un monde. Un siècle plus tard lève la plus féconde moisson de sainteté que virent jamais les Gaules. Puis reviendront les arts, les sciences, les lettres : en cinq siècles, tout est rebâti, tout est renouvelé dans un tel état de grâce que ce « moyen âge classique » malgré toutes ses contradictions et ses déchirures prend une dimension mythique et ne cesse de vivifier notre civilisation.
Je ne verrai pas l’aube suivante, mais je l’espère de toute mon âme. Si je ne me berce pas d’illusion sur la nuit qui tombe et qui sans doute emportera la civilisation européenne, occidentale, du moins pour un temps, le temps de la vanner sur l’aire et de séparer le grain de la paille, je crois qu’il y aura un regain et que tout cet effort de beauté, de connaissance, de liberté, des cathédrales aux chorals de Bach, des tableaux de Poussin ou de Vermeer à L’oiseau de feu de Stravinsky, ne s’abîmera pas à jamais et ne sera pas vain. Je crois que les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur l’Eglise du Christ. Je crois aussi qu’on ne pourra pas stériliser à jamais la pensée humaine.
Comme au jour de mes 20 ans, je crois encore en l’amour soleil…
(à suivre)

[1] Au prévenu qu’on amenait devant lui, la première question que posait un juge mérovingien, c’était : « quelle est ta loi ? » Es-tu Romain de droit écrit, Franc ou Goth soumis à la compensation coutumière du wergeld, Juif devant obéir aux préceptes de la Torah, Grec, Phénicien, Perse ?

Monday, October 08, 2007

In memoriam Serge de Beketch

Serge de Beketch vient de mourir ce samedi 6 octobre, à la limite du dimanche 7, dans le jour liturgique (qui commence à Vêpres car "il y eut un soir, il y eut un matin") de la fête des saints martyrs Serge et Bacchus, l'un comme l'autre pouvant apparaître comme ses saints patrons ! L'humour de Dieu aurait-il répondu à l'humour du satiriste ?

La première fois que j'ai lu Serge de Beketch, c'était dans Pilote, le Pilote hebdo de Goscinny qui n'était encore connu que des initiés et qu'on se passait avec des mines de conspirateur. Il y voisinait avec des gens qui eurent leur succès plus tard comme Gotlieb ou F'murr. J'ai même retrouvé avec émotion il y a deux ans chez un bouquiniste une réédition d'un album de son héros Thorkaël.
Curieusement, j'ai bien mis deux mois quand j'ai découvert Radio Courtoisie à la fin des années 80 pour relier le satiriste du mercredi soir au scénariste de BD qui m'avait enthousiasmée 20 ans plus tôt. Puis il a repris la rédaction en chef de Minute et c'est pour moi la seule période où ce magazine fut lisible, que je sois d'ailleurs d'accord ou non avec les articles. Je n'en ai pas raté un seul numéro. Merci à lui pour m'avoir fait découvrir des auteurs comme ADG ou des livres comme "Sire" de Jean Raspail...
Tout cela pour dire que Serge, c'est une présence restée dans mon horizon depuis plus de quarante ans, ce qui finit par compter. Par un tour de cochon comme la vie sait en jouer, je ne l'ai rencontré en chair et en os que lors d'un repas d'amis en juin dernier et, par un autre tour de cochon, etc., il cherchait à me joindre sans savoir que la petite bonne femme en face de lui était l'auteur qu'il voulait inviter à son émission. Troisième tour de cochon, etc., c'était trop tard et ni l'un ni l'autre ne le savait.
Il avait vieilli, ces derniers temps. Quelle banalité ! Il lui restait du courage, du punch, de l'humour mais je ne le suivais pas dans tous ses centres d'intérêt. Je lui reprochais d'inviter à la fois, dans des domaines controversés comme la question des OVNI, des gens intéressants et de grands naïfs.
Je n'avais pas non plus le même point de vue sur l'avenir de Radio Courtoisie.
Malgré ces divergences, c'est sur son émission que je me précipitais en priorité quitte à me lever très tôt pour pouvoir écouter la rediff ou, dans certains cas, à sacrifier une partie de ma nuit. Adieu, Serge !

Je sais, et c'est dans la liturgie, "il n'y a pas d'homme qui vive et qui ne pèche pas". Je suis de ceux qui réagissent à l'ancienne, préférant devant la mort prier pour que Dieu efface les péchés de celui qui vient de partir vers les cieux et l'accueille dans sa Lumière.
Ce qui veut dire aussi effacer en nous-même les différends, quels qu'ils soient. Cela s'appelle l'absoute.
"Seigneur, ô Amour ineffable, souviens toi de ton serviteur défunt".

Sa biographie wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_de_Beketch

Je voulais ajouter un lien vers sa bibliographie de bédéiste mais impossible aujourd'hui de retrouver le site sur lequel j'arrivais tout droit hier.

Mes condoléances à sa famille.