Wednesday, October 07, 2009

Bouc, cerf et bouquetin

Autre message paru dans un forum aujourd'hui disparu. Je répondais à une série de considérations sur les mythes archaïques.
Le bouc m’intéresse car on le retrouve dans un contexte très ancien : les « diablotins » paléolithiques de Teyjat, un os gravé d’une grotte de Dordogne, sont des capridés. Bouc ou bouquetin, même animal qui danse sur les rochers et entraîne le chasseur à quelques acrobaties. Quand on discute avec de vieux chasseurs de chamois ou d’isard, il y en a encore quelques uns vivants, on s’aperçoit qu’il y a, dans leur relation à l’animal, quelque chose de passionnel et de sacré qu’on ne retrouve pas chez les tireurs de lapins ou de faisans du dimanche. Pourtant, à ma connaissance, le bouquetin ne figure pas parmi les animaux qui, dans les contes ou les mythes, entraînent le chasseur vers l’autre monde magique. Mais n’a-t-il pas été remplacé par le cerf dans ce rôle de guide malicieux dès lors que les capridés étaient en partie domestiqués ? Vraie question, que je ne suis pas sûre de résoudre car il y a un hiatus géographique.
L’aire archaïque du bouquetin, bouc, chèvre d’or et autres caprins est assez aisément repérable dans les contes, les traces archéologiques et les rites (même édulcorés en folklore). Grosso modo, un pourtour méditerranéen élargi, qui rejoint l’Atlantique en Aquitaine, au Portugal et au Maroc, qui s’enfonce jusqu’à l’Afrique subsaharienne encore que la « frontière » soit très floue et jusqu’à la Mésopotamie, au moins dans les zones montagneuses du nord mais, par contre, le bouquetin est peu discernable en Egypte. Le cerf se retrouve surtout dans les cultures issues de La Tène et de Hallstadt. C’est plus au nord, c’est plus tardif, les zones de recouvrement sont assez courtes, sauf la Grèce mais cerf et bouquetin n’y appartiennent pas au même ensemble mythique. Avec le cerf, nous sommes chez Artémis et Apollon ; avec les capridés, chez Pan ou Dionysos. On peut penser une opposition sémantique autant qu’une unité fonctionnelle. L’ensemble « bêtes à cornes et sabots » n’est pas simple à pénétrer.
Avant de savoir si tel dieu ou tel ensemble mythique est indoeuropéen, question qui a son importance mais ne me taraude pas plus que ça, j’essaie plutôt de comprendre comment il était perçu par les peuples qui nous en ont laissé l’image, comment cette perception a évolué au cours du temps et quelles sont les équivalences/oppositions que l’on peut établir avec d’autres figures comme avec d’autres réalités : constellations du ciel nocturne, mode de vie, problèmes intellectuels dominants. Il y a toujours beaucoup d’hypothèses et de conjectures, surtout quand on généralise, mais les énigmes sont passionnantes.

Dialogue sur l'écologie

Ce message est tiré d'un forum aujourd'hui défunt mais me semble intéressant à ne pas laisser partir totalement dans les limbes. J'y dialoguais avec un partisan pur et dur de la décroissance.

Est-il de l’intérêt de l’écologie de se lier à un mouvement politique ? Si je regarde en arrière, les Verts ont eu un petit succès électoral à partir du moment où ils ont laissé tomber les questions purement écologiques pour faire du socialisme gentillet. Ce qui a eu quelque impact, c’est d’une part le travail scientifique qui permet de mieux connaître les grands cycles vitaux, celui de l’eau, celui de l’azote, etc. ; d’autre part les médias et leurs vulgarisations thématiques, télévision, articles, livres. Auxquels il faut ajouter les petits futés qui ont vu l’intérêt économique d’une gestion écologique bien comprise. Exemple : ceux qui se sont lancés dans le recyclage à petite ou grande échelle. Ou les architectes qui proposent des maisons en matériaux naturels, avec énergies renouvelables, etc., des choses fort sympathiques et qu’on a envie d’habiter. On les applaudit bien fort : ils agissent. Et, clin d’œil impertinent qu’on me pardonnera, j’espère, leur activité fait grimper le taux de croissance…

Lancer un mouvement politique signifie présenter des candidats aux élections, rentrer dans un jeu de tractations diverses et variées – de tractation tout court puisqu’il faut bien mettre des professions de foi dans les boîtes à lettres (aïe ! mes arbres !), bref dans un jeu dont les règles furent écrites par et pour d’autres. Et cela renforce aussi la dérive vers l’idéologie et le système de croyances, dérive que je ne cesse de dénoncer depuis quelques années. Dans cet ordre d’idées, je garde un souvenir cauchemardesque d’une intervention de Brice Lalonde à la fin des années 70 dans un meeting soi-disant contradictoire où il s’opposait à un ingénieur d’EDF qu’en plus, pour parachever le désastre, je connaissais assez bien comme syndicaliste sincère. Ce meeting s’inscrivait dans la controverse locale autour de la construction du surrégénérateur du Val de Saône, juste après Maleville. J’étais une des opposantes actives. La salle était bourrée de gamines de 14-15 ans, de professeurs des lycées, plus quelques trentenaires qui se sont vite demandé ce qu’ils fichaient là. Dès que Lalonde a ouvert la bouche, j’ai été atterrée. Il sortait une ânerie scientifique par phrase, de celles qu’un élève de seconde aurait pu rectifier. L’ingénieur n’a pas eu de mal à l’enfoncer mais… mais c’était sans compter ces demoiselles les groupies adolescentes. Les quelques adultes qui posaient des questions (et Dieu sait qu’elles ne cassaient pas trois pattes à un canard) ont failli se faire lyncher, sans parler de l’ingénieur qu’il a fallu faire sortir discrètement par la porte de derrière. Les amis musiciens qui devaient assurer la partie festive après le meeting se sentaient très mal aussi. Et c’est ainsi que la centrale du Val de Saône gagna à sa cause la presse locale évidemment présente. Ce soir là, j’ai compris que mélanger écologie, discipline sérieuse et qui demande de la finesse et de la rigueur intellectuelle, et vedettariat ou politique politicienne, ou même simplement appel à la croyance et à l’incantation, ne pouvait mener qu’à la catastrophe. Et je me suis souvenue que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Voynet ou Mamère ne valent pas mieux. Yves Cochet me semble très idéologue – bien qu’il soit certainement mille fois plus sincère et instruit des problèmes que les chasseurs de prébendes électorales.

Les idées bien exposées, les réalités peuvent avoir un impact et progressivement transformer le monde. Ce n’est pas si loin, les années 70 : 30 ans à peine. A l’époque je n’aurais pas osé parier que l’on aurait 30 ans plus tard généralisé les poubelles de tri et le recyclage de plusieurs types de déchets ménagers. C’était juste le moment où l’on cessait de consigner les bouteilles en verre ! Ce ne sont pas les tracts des Verts qui ont fait avancer la conscience de « l’environnement » mais un petit journal non politicien d’éveil à la nature pour enfants et ados : La Hulotte (rien à voir avec Nicolas). Et tout un travail de lobbying auprès des décideurs, en particulier des chefs d’entreprise.

J’ai dit plusieurs fois que je me refusais à poser les questions en termes de croissance/décroissance, ce dont certains ont conclu que j’étais forcément pour le libéralisme et le consumérisme. En d’autres termes, si vous refusez un dilemme dont l’interlocuteur représente un des pôles, c’est donc que vous représentez le pôle opposé – raisonnement dont la logique m’échappe un peu, pour tout dire.

Prendre au niveau local des décisions telles que station d’épuration biologique (concrètement, quel est le système ?), recyclage des déchets, aménagement des zones de circulation selon le véhicule, j’appelle cela de la gestion intelligente et je ne peux qu’applaudir. Et je suis bien d’accord que ce type de décision n’a pas besoin d’être soumis au tampon de quelque autorité centralisée. Mais en quoi serait-ce de la décroissance, si l’on s’en tient à la définition économique de la croissance, définition fondée sur le PIB ?

Il n’y a que sur la limitation de la circulation automobile que je mettrais un bémol pour avoir vu dans des villes que je connais bien, à commencer par Paris et à continuer par certains coins de province, les bonnes intentions paver l’enfer sans faire baisser d’un poil le taux de CO2 ou d’autres polluants. Si vous l’avez fait intelligemment, bravo. Le contre exemple type, c’est Paris, les boulevards des maréchaux au sud où la construction du tramway (mille bravos) s’est accompagnée d’un rétrécissement des voies laissées aux automobilistes tandis qu’étaient aménagés de larges et magnifiques trottoirs de promenade. Résultat concret : c’est toujours l’embouteillage, le périph’ s’engorge un peu plus, et les piétons ne viennent pas plus qu’avant flâner sous les arbres parce qu’ils n’ont rien à faire là, ni leurs courses, ni leur travail s’ils sont parisiens, et que c’est trop loin des monuments s’ils sont touristes. Bilan : autant de CO2 que d’hab, sinon plus et un surcroît d’énervement, sans oublier que ces gigantesques trottoirs, c’est glacial en hiver, brûlant en été, venté à décorner les bœufs. Bref, l’idéologie « écologiste » n’a pas fait avancer d’un poil la convivialité ni régresser les gaz à effet de serre mais a coûté cher pour compliquer la vie d’une partie des usagers. Par contre, tout cela fait monter le taux de croissance de la ville, comme n’importe quelle réalisation.

Il ne suffit pas que la décision soit prise au niveau local, il faut encore que les décideurs aient trois sous de bon sens et c’est peut-être ce qui manque le plus à notre époque d’idéologies entrecroisées et de responsabilité diluée.


On me recommande l'Abécédaire du développement.

Citation :

«Vous, les Développés, portez des masques avec des oreilles inexistantes et une large bouche, tandis que nous, Africains, développons d'immenses oreilles et laissons notre bouche s'atrophier.»

???? L’art de la palabre – et de la dispute au besoin – me semble pourtant très africain, si j’en juge par ce que j’entends dans le RER !

Et les « ailleurs du développement », qu’es aco ? Est-ce que ça les ennuierait de parler en français plutôt qu’en langue de bois ? Rien que pour ce paragraphe, cet abécédaire commence à m’agacer. Dès la lettre A… ça augure mal de la suite.

L’article « besoins » s’attache à une critique de la théorie de la rareté. Fort bien. Cette théorie est d’ailleurs controversée parmi les économistes, pour ce que j’en sais. Mais on attend encore une analyse réelle de la notion de besoin.

Au bout de cinq articles, j’arrête. Une critique n’aurait aucun sens, car un tel ouvrage n’est pas discutable. On nous balance des affirmations comme s’il s’agissait d’évidences et surtout du rejet des autres visions du monde sur le mode ironique plutôt qu’argumenté. Il n’y a pas de discussion possible si l’interlocuteur a tort par principe. C’est un ouvrage écrit pour que les militants se fassent plaisir entre eux. Exactement le type de littérature dont j’ai horreur, quelle que soit l’idéologie sous-jacente.

Je n’achèterai pas ce livre.

A vrai dire, de tout ce que je viens de lire, un seul article me parait frappé au coin du bon sens :

« Ontologie (sorte d') : Ensemble de valeurs-clé qui nous viennent des Lumières. Notamment, cette prise de distance relevée par Kant, reprise par Foucault, ce recul par rapport à soi comme société, comme époque qui est au fondement des sciences modernes. Pourquoi donc un passé, celui des Lumières, ou un autre, antérieur, n'aurait-il plus rien à dire aux hommes du XXIe siècle ? Quel rôle pour les passeurs d'époque, pour ceux qui cherchent à transmettre et non pas seulement à informer ? Ne faut-il pas s'interroger sur ce que l'on veut conserver, sur ce que l'on ne veut pas perdre, sans se laisser intimider par les illuminés de l'innovation qui perpétuellement poussent par derrière comme s'ils possédaient la clé de l'énigme du futur ? Donc, qu'est-ce qu'on garde du XVIIIe siècle, quelle partie de l'héritage assumer, revisiter, se réapproprier, liquider, adapter ? Au moins se poser la question. »

Je poserai seulement une question annexe : qui est « on » ? Qui va décider du tri de l’héritage ? C’est le point aveugle d’un paragraphe qui par ailleurs ne manque pas d’intérêt. Autre question annexe : pourquoi l’héritage ne remonterait-il pas au delà des Lumières et du 18e siècle ? La renaissance n’a-t-elle plus rien à dire ? Ou le moyen âge ? Ou la mémoire paysanne qui remonte parfois au néolithique ?

Ce qui m’ennuie dans ce livre, c’est le parti pris sous-jacent, inexprimé, selon lequel les autres visions du monde occidentales seraient à combattre tandis que les visions du monde des autres cultures seraient forcément enrichissantes, voire salvatrices. Mais comme c’est du filigrane, on ne peut guère en discuter sereinement. J’en garde le sentiment de la réduction d’un héritage complexe, celui des cultures européennes et nord-américaines, à quelques traits caricaturaux où l’on ne met en lumière que l’haïssable en oubliant le reste, et de l’idéalisation de cultures tout aussi complexes dans l’héritage desquelles les héritiers auraient aussi à trier. L’oligarchie du G8 est sans doute haïssable, mais la tradition de l’excision en Afrique me fait frémir. Or si l’Afrique ne se résume pas à l’excision, l’Europe en tant qu’ensemble de cultures n’est pas superposable au G8.

Tuesday, October 06, 2009

Poème qu'on m'a envoyé et que j'avais oublié de poster

D'un cercle de feutre tu fis ce chapeau,
cône où l'ombre des futaies

s'enroule.

Cerclant ta tête pleine de nocturnes romances,
il pointe son sommet vers un ciel étoilé, tandis que

d'un feu vacillant
ta lanterne illumine sa base.

Quel luxe pour qui loge
en cette tour bercée par tes pas tranquilles :

vœux abrités des bourrasques et
bienheureux présages, piaillant dans ce nid
vagabond.

Ecoute, sous ton chapeau, nos âmes
louer la patrie où tu les emportes.


Jacques Tallote Botelli.