Friday, May 14, 2010

Burqa si, burqa no...

Burqa si, burqa no ? La commission parlementaire, autre montagne si l'on en croyait les services de communication de l'Elysée, a sans surprise accouché elle aussi d'une souris – laquelle, nous dit-on sans rire, saura guider le législateur vers la rayonnante lumière des droits de la femme et de la sécurité des bureaux de poste. On rêve d'une affiche art déco célébrant cette sublime espérance !

Le burqa, puisqu'il paraît que ce terme est masculin en arabe, est certes un vêtement très utile... dans les passes d'Afghanistan où le vent soulève une poussière assez abrasive. Je le soupçonne même d'avoir servi de vêtement de voyage en Asie centrale avant l'introduction de l'islam. De même dans les pays au climat sec où fut inventé le niqab, les hommes aussi se protègent la tête et le visage. Après tout, en hiver quand souffle la bise, on me voit engoncée dans une doudoune avec bonnet et moufles sans compter l'écharpe qui me remonte jusqu'au nez et personne n'y trouve rien à redire quant à ma dignité de femme. Personne ne me lorgne non plus de travers en supposant que je porte une bombe sous mon manteau. Si la loi passe, ne devrais-je pas payer une amende le jour où mon écharpe montera un peu trop haut pour le pandore du coin ?

Une militante islamiste a déjà trouvé la parade et montre complaisamment par une vidéo diffusée sur Internet comment tourner la loi future : elle soulève une première couche qui tombait devant son visage, les deux accroches de côté forment pivot, ce qui lui permet de la rabattre sur sa tête, renforçant ainsi son voile ; on s'aperçoit alors qu'il reste un léger haïk qu'elle rabat de même pour montrer enfin sa face... recouverte d'un masque de chirurgien censé la protéger des microbes et autres pollutions. Et d'expliquer triomphante que la loi ne saurait s'appliquer à une prescription médicale. Gageons que, de fait, même si le législateur alerté exige une ordonnance pour porter un tel masque, elle trouvera toujours un médecin serviable pour la lui renouveler mois après mois. Cette vidéo remet les problèmes où ils sont vraiment, où ils font mal, où ils nous renvoient à nos contradictions. On ne peut pas à la fois exiger le visage découvert dans l'espace public et recommander le port du masque en cas de pandémie, comme l'a fort bien compris la petite finaude.

Il ne s'agit pas d'interdire un vêtement mais la vision du monde qu'il symbolise, une vision du monde qui s'oppose frontalement à l'idéologie libérale la plus actuelle. Seulement, comment le dire ? Poser clairement l'islam salafiste ou wahhabite comme incompatible avec la loi française ? On se retrouve coincé : la loi de séparation de 1905 déclare nettement que l'Etat admet toutes les religions, toutes les croyances, mais n'en reconnaît ni n'en favorise aucune. Il est vrai que les anti-calotins de l'époque n'ont pas pensé que pourraient s'installer à Paris et à ses alentours des cultes plus exotiques. La raison devait s'imposer et rejeter les superstitions aux poubelles de l'histoire, les hussards noirs y veilleraient. Un siècle plus tard, outre les mosquées, on compte plusieurs temples bouddhistes, un hounfor vaudou, des confréries soufies, des cérémonies hindouistes, des rites néo-païens en tout genre sans parler des religions émergentes qui alimentent la grand-peur des sectes. L'éventail est encore plus ouvert aux Etats-Unis où n'importe quel groupe peut se faire reconnaître comme « Eglise ». Une bonne part de ces groupes est persuadée de la supériorité ontologique du mâle – à commencer par certains baptistes ou évangélistes américains et l'on commence d'entendre dans des milieux chrétiens fort éloignés de Golias un rappel de la première épître aux Corinthiens : Je veux cependant que vous sachiez que Christ est le chef de tout homme, que l'homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Christ. Tout homme qui prie ou qui prophétise, la tête couverte, déshonore son chef. Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef : c'est comme si elle était rasée. Car si une femme n'est pas voilée, qu'elle se coupe aussi les cheveux. Or, s'il est honteux pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou d'être rasée, qu'elle se voile. L'homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu'il est l'image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme.

Il n'y a pas si longtemps, une femme ne serait jamais sortie dans la rue « en cheveux ». Il a fallu les restrictions de la guerre où trouver un chapeau voire un simple foulard tenait de l'exploit pour qu'on accepte que trois pinces et des bouclettes suffisent à coiffer. Si le niqab nous insupporte tant, c'est peut-être aussi qu'il nous renvoie à notre propre histoire, à la difficulté jamais surmontée de l'héritage gallo-romain, de la tradition celtique d'égalité des sexes affrontée au machisme de Rome. Par delà les différences culturelles des peuples gaulois, il existe quelques grandes constantes que l'on retrouvera dans les contes comme dans les romans arthuriens. Si les rôles de l'homme et de la femme ne se confondent pas, leur égale dignité, leur égale liberté de décision, leur égal accès aux fonctions de souveraineté sont patents. Une lecture attentive des Mabinogion montre une société de matrilignage matrilocal ayant évolué vers un bilignage bilocal où demeure toutefois prédominant le rôle de l'oncle maternel1. Par contraste, la loi romaine encore respectée au moment de la conquête des Gaules pousse à l'extrême une structure patrilinéaire patrilocale assortie de primogéniture, au point que les fils cadets soumis en principe à leur aîné portent des numéros d'ordre en guise de prénom. Quant aux filles, l'aînée décline le nom de famille au féminin, les cadettes se contentant aussi de numéros. Nulle part on ne fit pire, pas même en Chine.

Les usages romains n'ont guère prévalu dans les Gaules sauf à quelques rares périodes : lors de la prise de pouvoir des pippinides, lors du resserrement idéologique qui suit la grande peste, avec le parti dévot dans la foulée du concile de Trente, avec la révolution française et le code Napoléon. A chaque fois, après un traumatisme, il s'agit d'un retour fantasmatique à l'antiquité de Rome supposée le modèle de civilisation. A chaque fois aussi, la tentative d'imposer le patrilignage strict passe mal, doit admettre des exceptions, des « femmes fortes », la loi se heurte à la coutume non écrite. Finalement, la réalité l'emporte et la femme retrouve sa liberté « celtique ». Le dernier épisode n'est pas si vieux. Il commence à la guerre de 14-18 où, les hommes partis au front, les femmes font tourner l'économie aux champs comme aux usines. Ce que l'on voit moins, c'est qu'elles doivent continuer ensuite : trop d'estropiés, de gazés, de gueules cassées, trop de morts dans les tranchées ou de la grippe espagnole. Et cela commence encore par les « femmes fortes », Marie Curie à l'université, Maryse Bastié aux commandes d'un avion, jusqu'au droit de vote obtenu en 1946 – le dernier pays d'Europe ! – et seulement dans les années 70 celui d'ouvrir un compte en banque ou de travailler sans l'accord préalable du mari.

Ce sont ces longues, longues racines qui se dressent contre les cultures de supériorité machiste et non un hédonisme soixante-huitard mort depuis longtemps, ni un retour des croisades, ni un racisme fantasmatique.


(à suivre)


1Le dernier avatar de ce rôle se retrouve chez Walt Disney : Mickey Mouse et Donald Duck n'ont pas de fils mais des neveux. Minnie et Daisy qui ne sont pas leurs épouses pourraient être leurs sœurs.